Jours tranquilles à Paris, Berlin et Alger

L’itinéraire d’un jeune homme et de son appareil photo dans les rues européennes et algériennes :

J’ai grandi en Algérie, j’y ai passé 25 ans avant de m’installer en Europe. L’exil m’a ouvert les yeux. C’est en France que j’ai appris à faire de la photo. J’aurais sans doute dû commencer alors que je vivais en Algérie. J’aurais aimé témoigner à ma façon, pendant mes années d’adolescence, du quotidien ordinaire de mon pays. À Paris, j’ai parcouru quartiers et arrondissements, figeant chaque instant que je pouvais, comme des clignements des yeux. J’ai basculé dans ce monde où l’on peut se permettre de s’arrêter, d’observer les autres. Puis, j’ai parcouru l’Allemagne de long en large, pendant cinq mois. J’y ai appris la langue et un peu de culture allemande. À Berlin, j’ai exploré de nouvelles dimensions de mon travail de photographe. J’avais donc fait de la photo de rue dans beaucoup de villes européennes. Mais Alger m’intimidait. Cette fois, j’ai pris mon courage à deux mains, entre les mains devrais-je dire, agrippé à mon appareil. Je me suis dirigé vers les fameux escaliers de la rue du Dr Saadane et j’ai commencé une longue et surprenante balade photographique dans les rues d’Alger la blanche. Armé de mon fidèle Nikon D700, j’ai figé ces étroites rues sous le grand angle de mon 24 mm ainsi que quelques portraits serrés au travers de mon 50 mm.

L’Algérie, acte II

À mon premier retour en Algérie, en visite chez mes parents, j’ai réalisé le cliché que j’avais tant voulu faire, le portrait de ma grand-mère paternelle. Je l’ai offert à mon père deux ans plus tard, quelques jours après qu’il eut perdu sa mère. J’étais bloqué par cette sorte d’autocensure sur l’Algérie. J’étais pourtant chez moi, dans mon pays, à Azeffoun, en toute légitimité. Les paysages de Kabylie, ma famille et mes amis ont d’abord été mes seuls sujets durant ce séjour. Alger sera la prochaine étape.Avec plus de maturité photographique? D’assurance ? De crainte ?

«SOUAR BLADEK PRENDS DES PHOTOS »

L’Algérie fait partie de ces pays où il est difficile de faire de la photographie de rue. C’est une société où le regard de l’autre est assez présent.Y débarquer avec un appareil photo est assez mal accepté. C’était en tout cas ma conviction. Mais j’ai commencé à m’enfoncer dans les quartiers populaires d’Alger. J’ai été surpris par l’accueil des enfants et des jeunes. Je leur demandais systématiquement si ça ne les dérangeait pas que je prenne des photos du quartier, voire d’eux. Ma façon à moi d’avoir leur bénédiction… « Bien sûr kho !» (Bien sûr mon frère) « Souar bladek ! Souar Alger !» (Prends des photos de ton pays ! prends des photos d’Alger). En ce jour du derby des deux clubs de foot USMA-MCA, les klaxons des supporteurs résonnaient dans les rues étroites d’Alger, ces rues ornées tantôt de drapeaux rouge et vert symbole des Mouloudiens tantôt de drapeaux rouge et noir symbole des Usmistes. Mais les supporteurs des deux camps finissent toujours par se rabibocher.

Mon expérience allemande, mes rencontres françaises

En Allemagne, j’ai connu une expérience étonnante. Je me suis lancé dans un reportage photo sur les sages-femmes et les femmes enceintes. Tel un explorateur venu d’Afrique, me découvrant «ethnologue » en Occident… Ce fut une grande expérience humaine. J’en suis ressorti enrichi. À la fin de ce projet, j’ai éprouvé le besoin de retourner en Algérie afin d’y retrouver ma famille. Paris, bien sûr, est la ville de tous les instantanés… Comment renouveler au XXI siècle les travaux des Willy Ronis ou Robert Doisneau. Mission impossible…

Alger en son cœur historique

En remontant le boulevard Didouche Mourad, du tunnel des facultés jusqu’à l’église du Sacré Cœur, j’observe le ballet des Algéroises et des Algérois, se mélangeant dans une large gamme de styles vestimentaires et de classes sociales. Les appels des vendeurs, les coups de klaxon des automobilistes qui tentent de se frayer un chemin entre les piétons. C’est Alger, il fait chaud en ce mois de mars. À 13 heures, je me suis arrêté à une terrasse de café en des-sous de la fac centrale. Mes souvenirs d’Alger, d’il y a plus de dix ans, à l’époque où j’y faisais mes études d’agronomie à El-Harrach. J’y découvrais la capitale de mon pays, seul loin de chez moi, je gouttais à l’anonymat que seule une métropole peut vous offrir. Rattrapé parle bruit des voitures je me suis surpris à contempler les façades des bâtiments haussmanniens d’Alger centre, m’interrogeant sur ses locataires avant et après la colonisation et commenta dû se faire la transition. Plus bas, la Grande Poste avec son architecture néo-mauresque. La place Emir Abdelkader,l’ombre des ficus de la rue Larbi Ben M’Hidi, passant par le Milk bar et la fameuse Librairie du Tiers Monde.

Là haut, sur la terrasse, s’offre la baie d’Alger

J’ai emprunté les escaliers en bois de cette maison de la Casbah qui m’ont amené à la terrasse. Une vue à couper le souffle ! La baie d’Alger s’offre à moi, sous le ciel bleu azur parsemé de nuages blancs. La brise marine se dessine un itinéraire dans les étroites ruelles de la Casbah, caressant les murs. Elle s’imprègne de murmures et d’histoires, elle flâne, se charge d’odeurs et de senteurs du vieil Alger. En parvenant à mes narines, elle fait me sentir léger. À travers mon objectif El Bahdja s’étale dans un mélange de styles architecturaux. La nouvelle mosquée d’Alger s’érige au loin à l’est pendant que le monument Maqam Echahid veille sur la ville depuis les hauteurs d’El Madania. La Casbah symbole de la culture algérienne est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. Ses toits sont parsemés d’antennes paraboliques pour la réception de chaines étrangères de toutes origines. Ces antennes signifiaient pour moi, plus jeune, une ouverture vers le monde étranger. Aujourd’hui je les vois comme le symbole d’une société qui tourne la tête pour voir ailleurs, s’occuper l’esprit avec d’autres choses. Ces antennes plantées là, sur les terrasses tels des voiles prenant le vent venu tantôt d’orient, tantôt d’occident, influençant une société qui se cherche. De notre emplacement en hauteur, avec un ami, nous avons déchargé nos batteries d’appareils photos et chargé notre mémoire d’images. Nous sommes rattrapés parle soir. Les terrasses de la Casbah descendent le long de la colline, tel un escalier, vers la mer. Nous sommes repartis dans la nuit avec des souvenirs lumineux.

“Jours tranquilles à Paris, Berlin et Alger” est un article qui est initialement parue sur I pour le magazine Paris Alger – N°20 Juillet – Août – Septembre 2017. Formulaire d’abonnement

Mes remerciements à Yves de Saint Jacob